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Claire GELLEREAU
Chargée de projets Cohésion sociale
Morgane PERSET
Rédactrice en Cheffe de BelvedeR, chargée de mission Dialogues urbains, AUAT
L’observation des activités physiques et sportives est un enjeu pour les collectivités. Si celles qui relèvent du sport fédéral, pratiquées en club et dans les équipements publics sont aisément observables, l’observation des activités autonomes et pratiquées dans l’espace public, dans les espaces naturels mais aussi dans des structures privées voire à dominante commerciale est moins aisée et peu donc devenir un angle mort des politiques locales.
C’est l’interpellation que fait dans ce numéro Aurélie Corbineau, ancienne élue locale, ayant fait le constat dans sa commune que les infrastructures de type gymnases et terrains de sport répondaient à peine à la moitié des pratiques physiques de ses concitoyens. L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) a ainsi démontré qu’en 2020 59 % des sportifs d’Occitanie pratiquaient une activité sportive en autonomie. À l’heure où les collectivités doivent relayer sur le terrain l’injonction nationale à faire du sport « bougez ! », comment alors avoir une connaissance des activités physiques et sportives dans leur globalité et dans leur diversité ?
L’équipe de l’AUAT s’est prêtée au jeu avec une enquête menée auprès d’un micropanel de 64 de ses salariés à parité entre femmes et hommes. Si les résultats ne peuvent être considérés comme représentatifs des pratiques de la population de l’agglomération toulousaine, ils font cependant écho aux grandes tendances régionales et nationales décrites par l’INJEP et mises en lumière dans les articles de ce numéro.
Des pratiques multiples et variées
Les pratiques physiques et sportives des salariés de l’AUAT reflètent l’engouement pour de nouvelles pratiques qualifiées de ludo-sportives par Fabrice Escaffre dans l’article d’ouverture de ce numéro car « hors stade, urbaines, libres […] hybridant sport et loisir ». Elles s’inscrivent aussi dans une tendance nationale de hausse des pratiques physiques et sportives régulières et de multiplication de celles-ci, plus de 40 % des Français pratiquant des activités sportives issues de différents univers sportifs (INJEP, baromètre national des pratiques sportives 2022).
Des pratiques différentes en fonction du genre et de l’âge
La hausse et la diversification des activités physiques et sportives au cours des dernières décennies s’expliquent notamment par la confirmation de la pratique féminine et de celles des séniors mais restent principalement portées par celle des hommes en âge de travailler et des jeunes, comme l’explique Fabrice Escaffre dans l’article d’ouverture de ce numéro. Malgré cela, on observe toujours une différence dans les sports pratiqués selon le genre au niveau national comme régional. Les résultats de l’enquête menée auprès des équipes de l’AUAT ne font pas exception.
Alors que les activités de la forme et la gymnastique sont plus prisées par les femmes, les hommes pratiquent plutôt des sports collectifs ou la course et la marche. Ce constat fait écho aux distinguos genrés présents dès l’enfance entre sports d’intérieur et sports extérieur, sports individuels et sports collectifs, recherche de santé / bien-être et performance physique. Édith Maruéjouls relève ainsi dans son entretien « la non-mixité de certains sports fédérés où, à partir d’un certain âge, les filles et les garçons sont séparés. Dès lors qu’il n’y a pas suffisamment de filles, il n’y aura pas forcément de filière féminine. » Cela explique en partie leur moindre représentation dans les sports collectifs.
Les sports pratiqués varient également en fonction de l’âge. Les sports privilégiés par les 13 personnes de l’AUAT de plus de 55 ans interrogées sont considérés comme « doux » : marche à pied, yoga, tai-chi, renforcement musculaire, natation ou vélo. Au contraire, les moins de 40 ans sont nombreux à pratiquer des sports collectifs (en particulier le football) ou la course à pied, qui peuvent être plus violents pour le corps.
Bien-être, lien social, recherche de performance, injonction sociale… Pourquoi faisons-nous du sport ?
À l’image des données nationales et régionales produites dans plusieurs enquêtes par l’INJEP, les motivations principales à la pratique sportive des salariés de l’AUAT sont diverses et correspondent à différents modèles : le sportsanté, la recherche de la performance sportive ou au contraire la pratique sportive ludique. Les motivations principales évoquées quant à la pratique physique et sont celles du bien-être physique et mental.
Le sport est également considéré comme vecteur de liens sociaux. Cela fait écho à l’article introductif de Fabrice Escaffre qui rappelle que les politiques publiques territoriales s’appuient sur « les pratiques ludo-sportives pour générer des sociabilités si ce n’est pour chercher à renforcer le lien social ».
Aussi, comme évoqué dans l’article d’Édith Maruéjouls présent dans ce numéro, la recherche de performance sportive et le modèle du sport de compétition correspondent à des approches masculines de la pratique : « Il y a d’ailleurs un discours construit sur la réussite scolaire des filles et, à l’inverse, une survalorisation des performances sportives des garçons avec de fait une opposition intérieur/extérieur. »
La pratique physique et sportive peut également être vécue comme une injonction sociale, en lien avec le développement du sport-santé, des politiques publiques de lutte contre la sédentarité et de la norme sociale d’un corps mince et tonique. D’après l’enquête nationale 2022 de l’INJEP, 29 % des personnes interrogées évoquent rechercher l’amélioration de leur apparence / de leur forme dans la pratique d’un sport.
Articuler les temps sociaux, un sport en soi !
Comme le démontrent les différentes analyses de l’enquête « Emploi du temps » de l’INSEE, menées par Céline Brousse et publiée en 2015, les femmes en emploi sont celles qui ont les temps les plus contraints, en particulier lorsqu’elles ont des enfants. Les pratiques sportives s’inscrivent ainsi dans une articulation des temps sociaux plus ou moins complexe selon la configuration des ménages, l’âge des enfants, l’activité professionnelle et les horaires du conjoint ou de la conjointe.
Cette complexité de gestion de l’emploi du temps, lorsqu’elle n’est pas un frein à la pratique sportive, favorise les pratiques libres permettant une flexibilité de l’horaire et du jour de pratique. Les résultats de l’enquête réalisée auprès des équipes de l’AUAT témoignent de cette réalité. Plus souvent évoqués par les femmes que les hommes ayant des enfants, les créneaux choisis pour faire du sport dépendent des horaires liés au travail domestique.
Des pratiques qui s’inscrivent dans une multitude de lieux
La diversification des activités physiques et sportives en France est à mettre en parallèle avec différentes générations d’espaces sportifs comme l’a démontré le géographe Jean-Pierre Augustin : « d’abord la construction d’équipements spécifiques, puis l’appropriation de lieux urbains longtemps réservés à d’autres usages et surtout l’utilisation d’espaces de nature qui deviennent supports d’activités physiques et sportives. » (Augustin J.-P., Bourdeau P. et Ravenel L., Géographie des sports en France, 2008.)
Par ailleurs, l’individuation des pratiques sportives ces dernières années s’est traduite par l’apparition de complexes sportifs et récréatifs privés aux visées commerciales, à l’image des « sport stations » de l’UCPA évoquées dans l’article sur les nouveaux lieux de pratique sportive hybrides. Les différents lieux de pratique des salariés de l’AUAT recencés en témoignent. Les résultats font aussi écho à la hausse des pratiques à domicile observée nationalement en lien avec la montée en puissance du télétravail. Ainsi, en 2022, près d’1/4 des Français pratique une activité physique et sportive principalement à domicile (INJEP, baromètre national des pratiques sportives 2022).
37 % des activités des salariés de l’AUAT sont pratiquées en extérieur, dans l’espace public ou dans des espaces naturels (notamment le long du canal du Midi ou de la Garonne). Cela fait écho aux chiffres régionaux de l’INJEP qui relève qu’1/3 des sportifs d’Occitanie pratiquent une activité en milieu naturel (INJEP, fiche régionale du sport – Occitanie, 2020). Les conflits d’usages liés à la cohabitation de différentes activités et à la négociation des espaces y sont récurrentes, comme l’explique notamment Céline Loudier- Malgouyres à propos des city stades qu’elle qualifie d’espaces de négociation : « On discute sa place, la place de son groupe avec celle d’un autre groupe, on discute les règles qu’on va se donner pour jouer. »
© AUAT, © Dominique Viet